Synthèse du 38ème Café : « La réindustrialisation sur notre territoire » – 16 avril 2024

Le gouvernement a initié un plan de relance « France 2030 » destiné notamment à développer la compétitivité industrielle. L’objectif est « mieux produire », « mieux vivre » et « mieux comprendre le monde ». Pour l’atteindre, une industrialisation des territoires est indispensable, mais nos TPE et PME locales sont-elles concernées ? Y a-t-il de l’innovation dans notre métropole ? Quelles sont les conditions pour s’y implanter et s’y développer ? Telles sont nos interrogations à l’ouverture du Café.

Le D.A.V.O.S. des PME remercie les acteurs de cette rencontre qui nous ont accompagnés dans nos échanges et réflexions :

Christophe ANDRAUD : Mialanes – Didier CAUCHETEUR : MEDEF – Christian CUREL : Prism / Leader – Mandy DOMINATI : BPI France – Henri FONTAINE : CNCCEF – Jérémy GUILLOT : ENEA Douane – Jean-Christophe JOUVENT : CFDT Gard/Crédit Agricole Sud – Pierre LAGANDRÉ : Pilag Design – Loïc POCHET : Pochet Aérospace – Béatrice SALA : éMa – Pauline SALEMBIER : Visit’Insolite – Olivier SCHEROMM : Somudimec – Bertrand VIVANCOS : SGS / Conseiller Régional / Maire Adjoint de Ganges

Postulat et état des lieux

Nous avons défini, pour notre rencontre, ce qu’est une « entreprise industrielle » = entreprise qui produit et fabrique des biens, qu’elle soit ETI, PME ou TPE, voire même artisanale, à condition qu’elle soit détentrice d’un numéro SIRET.

Au niveau national, les entreprises industrielles participent à moins de 10 % au PIB. L’État s’est donné pour objectif de remonter la participation des entreprises industrielles à 15 % du PIB, ce qui constitue un objectif très difficile à atteindre d’ici 2030. Il a défini un plan « France Relance 2030 » assorti de 10 objectifs prioritaires (dont vous trouverez une synthèse sur notre site Internet www.davosdespme.org).

Pour qu’il y ait réindustrialisation, il faut plus de créations que de fermetures d’usines. Pour que l’objectif susmentionné soit atteint, il faudrait que la création nette d’unités de production soit de 10 par département et par an pendant 10 ans !

Depuis presque un demi-siècle, nous étions en phase de désindustrialisation et, donc, pour obtenir des produits manufacturés, il a fallu les importer, puisqu’on ne les fabriquait plus !… D’où le déficit abyssal de notre Balance Extérieure…

Sur l’Hérault, en 2024, 9 976 entreprises produisent ou fabriquent, dont 15 % emploient de 0 à 10 salariés. En soustrayant les sociétés non catégorisées, nous constatons que moins de 1% des entreprises de production en France sont héraultaises (2 131 pour 31 000 salariés) alors que notre population active représente 2.4% de celle de l’hexagone.

Alors, quels sont les problèmes pour que l’on ne puisse pas développer ou renforcer le secteur de la production et de la fabrication sur notre territoire ?

Voici les éléments qui ont émergé des échanges, que nous avons organisés en 8 thématiques : Territoires – Financement – Administration – Emploi – Economie – Politique – Accompagnement –Conseils.

Au sujet des territoires

Bertrand VIVANCOS

On ne doit pas parler de Ré-industrialisation dans l’Hérault car il n’y en a pas eu par le passé – ou depuis si longtemps – que nous n’en avons plus la culture. Par exemple, Ganges était une ville industrielle, mais il n’y a plus d’industrie depuis des décennies (la dernière filature a fermé en 1962) ! Aujourd’hui, notre territoire est à industrialiser, pas à réindustrialiser.

L’industrialisation des territoires est très compliquée en raison du problème du foncier. Par exemple, une commune comme Castelnau-le-Lez, qui a beaucoup construit ces dernières années, peut prétendre à industrialiser la moitié de son territoire, mais pour une ville comme Ganges où on n’a pas beaucoup construit, la moitié de rien, ça ne fait rien !

  • Les recours se multiplient. Les recours abusifs au tribunal prolongent le temps d’installation, jusqu’à plus de 30 ans, parfois.
  • On essaie de trouver des solutions et des soutiens pour éviter ces recours abusifs. Maintenant, la loi impose que le temps de dépôt des recours ainsi que le temps de réponse soient limités.
  • La loi « zéro artificialisation » a pour conséquence de réduire les terrains disponibles, et il n’y a pratiquement pas de friches à réorienter.
  • Produire localement demande beaucoup d’énergie.

Financement

Il est possible de développer une industrie sur l’Hérault, mais il est difficile de trouver les financements.

Eric Pochet

La région finance toujours les plus « gros ». J’habite à Sète et mon entreprise existe depuis 2016. Je suis en train de m’interroger pour savoir si je vais quitter la France pour l’Algérie, l’Inde ou le Canada, car je ne trouve pas de financement en France et je suis sollicité par ces pays. Les Français n’investissent pas sur leur territoire.

En France, on n’a pas accès au capital risque ; on ne nous propose que du capital développement.

Christophe Andraud

On est parti en Chine pour certaines de nos activités. Dans ce pays, l’État y finance la partie haute du bilan.

Administration

Philippe Chambault

Pour constituer un dossier de financement, on doit suivre un cahier des charges établi. Ces outils à remplir sont très administratifs, lourds et rigides. On doit rentrer dans des cases déterminées par des bureaucrates qui les ont imaginées pour se faciliter la lisibilité d’un projet. De plus, ils n’ont aucune connaissance du monde de l’industrie dans notre région. Cela complique nos demandes de financement. On perd donc beaucoup de temps au lieu d’aller à l’essentiel pour faire avancer les projets.

Christophe Andraud

Nos interlocuteurs dans les banques locales ne sont pas capables de parler des projets industriels. Souvent nous devons aller à Paris.

Eric Pochet

Le temps requis pour faire avancer les dossiers et la nature du tissu économique de la région compliquent nos demandes car les intervenants ne sont pas formés pour instruire un projet industriel sur la région.

Didier Caucheteur

Les déclarations en douane, par exemple, n’ont plus rien à voir avec celles réalisées il y a 10 ans. La technicité s’est complexifiée.

Mandy Dominati

On n’est pas parfait, mais on peut apporter notre aide sur la partie administrative. Pour l’exemple, on a quand même de belles « success stories » dans la région.

Emploi

Eric Pochet

Sur notre région, mon problème est d’embaucher les cadres. Les faire se déplacer en famille est difficile car il faut trouver aussi un emploi pour leurs épouses, si on veut les convaincre de venir sur Sète.

Bertrand Vivancos

On a besoin de savoir-faire pour remettre en route des industries. Par exemple, j’ai travaillé à la création d’un CAP pour former des couturières, car on m’a remonté l’information qu’il y avait un réel besoin dans cette filière… Mais une fois lancé le CAP, on n’a pas trouvé les entreprises pour les embaucher sur place (à Sète) !

Economie

Au niveau européen, il existe beaucoup de sauvegardes réglementaires qui constituent des mesures de protection sur notre zone euro. Mais, au final, cela entraîne une limitation par les États eux-mêmes, pour financer l’industrie sur le territoire européen).

Jérémy Guillot

Des accords inter-étatiques existent, mais on est souvent confronté à du dumping sur les importations.

Politique

Béatrice Sala

Je suis une ancienne de la métallurgie. J’ai découvert un moyen pour traiter le gaz carbonique. J’ai toujours cru à une association entre une base de recherche universitaire et une collaboration avec l’industrie, comme aux USA ou au Japon… Mais cela n’existe pas en France ! Ma société propose un mécanisme très concret sur la décarbonation. Mais, pour la mise en œuvre de mon process, il m’est difficile de trouver des industries autour de notre territoire qui peuvent me fournir en CO2, et peu d’agriculteurs aussi !

La mise en place d’une industrie innovante est difficile. Je crois aussi à la dimension multiculturelle ; dans mon entreprise, j’embauche des chercheurs étrangers. Aujourd’hui, j’emploie des salariés de 5 nationalités différentes.

Face aux grosses entreprises, qui sont des mammouths, les faire bouger est très long. Pas de décisions rapides  !

Quand on va rencontrer les ministres pour leur présenter notre projet de petite entreprise, on est bloqué en tant que petite entité, ou par mon statut féminin. Les ministres entretiennent le lobbying avec de gros centres de recherches. Le pouvoir décisionnel est entre les mains des grosses entreprises. Pour nous, tout est long ! Le temps des prises de postes des ministres ne dure que 5 ans ; ils doivent aider leurs copains en premier lieu !

Par contre, j’ai toujours été soutenue quand les dossiers étaient traités par des interlocutrices.

Il existe de grandes difficultés d’ordre politique et financier pour nous aider à développer notre industrie. Je passe mon temps à courir les subventions au lieu de développer mon entreprise et de me concentrer sur la recherche !

Bertrand Vivancos

Parce que la région Occitanie se rassemble maintenant, nous avons la capacité de nous industrialiser, grâce à Toulouse. Sur notre territoire, nous allons lentement, mais dès que nous prenons une décision, alors, tout va très vite !

La difficulté est de taper à la bonne porte pour gagner du temps !

Accompagnement

Jean-Christophe Jouvent (CFDT – Crédit Agricole)

Nous sommes à votre écoute pour aider les TPE. Nous pouvons mobiliser quelques moyens pour accompagner ; il faut nous solliciter.

Olivier Scheromm (SOMUDIMEC – Financements)

On a pour vocation d’animer des comités de financement ; on est une petite structure, donc on répond vite. On a de beaux fonds propres, même si on est petit, et on a un fonds de dotation pour des investissements pertinents, car on n’est pas un fonds d’investissement (NR : opérant sur la région AURA, Auvergne-Rhone-Alpes, pour le moment).

Conseils

Bertrand Vivancos

Sur notre territoire, on doit travailler sur des niches pour l’industrie, comme les drones par exemple, en ce moment !

Pour l’industrialisation, il faut un réseau. Il faut trouver des solutions pour aider les chercheurs et les chefs d’entreprise.

On doit avoir recours à une intelligence collective de territoire pour ne produire que des produits de qualité. Avec la qualité reconnue des produits français, face à la concurrence chinoise, on peut trouver des débouchés pour nos productions. Le qualitatif, (avec de l’innovation, si possible), c’est notre seule solution. Les Chinois ne peuvent alors pas nous suivre ! L’industrialisation doit se concevoir avec des petites structures qui ne produisent que de la qualité.

Exemples de projet de « renaissance d’industrialisation »

De nombreux exemples existent sur ces dernières années et sont de nature à donner envie de monter un projet local. Voici 5 exemples parmi d’autres  :

Jean-Pierre Comunale, logisticien (rapporté par Hatim Jaïbi-Riccardi) Une mission d’étude a été effectuée en Aveyron et Tarn concernant le traitement de la laine des moutons élevés localement, très longtemps sous-traitée en Chine suite à la mondialisation-délocalisation. Les perturbations géopolitiques – et donc économiques – ont amené les institutions régionales à envisager une aide à la « renaissance » de la filière locale (alors que la laine, impossible à traiter localement, est actuellement stockée brute puis incinérée : gaspillage…). La filature Colbert relance les métiers traditionnels et redonne des débouchés à cette laine.

Autres : Les Nouvelles Grisettes de Montpellier, manufacture dédiée à la mode et au textile responsable ; Atelier TUFFERY, fabrication de Jeans (fabrication en Lozère, magasin à Montpellier) ; le groupe néerlandais Retour Matras ouvre à La Cavalerie (Aveyron) une usine de recyclage de matelas ; Build a Rocket Boy a implanté un studio vidéo à Montpellier…

Notre conclusion

À la question : « Nos TPE et PME locales sont-elles concernées par la politique d’industrialisation ou de relocalisation ? », la réponse OUI, MAIS…

Le parcours est toutefois très difficile, dû à de multiples facteurs exogènes :

  • la non-culture industrielle de notre territoire
  • le foncier indisponible
  • le financement et des interlocuteurs inadaptés
  • les politiques liées à des intérêts économiques plus nationaux
  • la lenteur des procédures administratives
  • les arcanes administratives pour monter et faire passer son dossier
  • la faible qualification technique des intervenants
  • le peu d’accompagnement pour inciter des familles à immigrer sur notre territoire (logement, emploi, enfants, mobilité…

Mais il y a aussi les critères endogènes :

  • la méconnaissance des différents intervenants et des circuits
  • le manque de capacité d’innovation et de montée en gamme
  • la faible volonté d’investir dans une unité de production ou une structure plus lourde que pour des services

Les opportunités de développement existent, comme partout en France. Dans la mesure où l’on a affaire à des entrepreneurs actifs avec de vrais projets et une volonté de création d’activité, on peut alors compenser une partie de nos déficiences liées à une non-expérience industrielle, pour faire face aux difficultés inhérentes à notre environnement local.

De nombreux organismes assistent les entreprises dans leurs démarches, leurs projets de création et de développement. Nous en proposons quelques exemples dans le document récapitulatif « Adresses utiles – production locale » ainsi qu’un digest de la politique étatique de réindustrialisation « Plan France Relance 2030 »