Intervention de Maxime MAURY

Hommage au Professeur René MAURY – 1928 – 2014

Mesdames, Messieurs,

Je ne peux pas prendre la parole sans vous remercier parce que, de fait, je suis un peu le chef de famille et j’ai  déjà l’impression, bien que ce ne soit pas encore l’heure de la conclusion, que cette manifestation est un gros succès.

Monsieur le Maire, merci, Madame (Francine BOHÉ), merci pour vos présentations et je vous prie de veiller à rajouter quelques minutes à mon temps de parole pour que je puisse exprimer ces remerciements.
Mes remerciements s’adressent ensuite aux organisateurs de cette manifestation, mes amis Gérard Martinez, Jacques Guin et à Marie-Hélène bien sûr.

Je voudrais me tourner vers le Professeur Jacques GUIN, car vous m’avez donné un immense plaisir. Depuis de nombreuses années en effet je n’ai pas eu l’occasion d’assister à une conférence aussi éblouissante. Il n’y a pas l’ombre d’une flatterie dans mes propos. L’élévation morale de ce que vous avez dit, le travail de mémoire et de fidélité, et votre dextérité intellectuelle m’ont bouleversé.
Cette dextérité m’a d’ailleurs un peu gêné parce que j’avais prévu de dire : « René MAURY est finalement un économiste dans la pure tradition de l’École Libérale française ». En réalité – et c’est bien l’universitaire que vous êtes qui considère que le grade le plus élevé est celui de Docteur – l’importance que vous avez accordée à sa thèse, en introduisant la Sociologie de la Connaissance, bouleverse singulièrement la donne.

Donc vous attendez de moi que je dise quelque chose sur l’auteur et sa doctrine économique.
Je me tourne à nouveau vers Jacques GUIN, parce que sur la tombe de mon père, j’ai prononcé un petit discours, préparé sous le coup de l’émotion, qui s’appelle « Hommage à René MAURY » et que Gérard Martinez a bien voulu publier sur le site web de l’IPA-IAE. Mais, avant de l’adresser à Gérard, le Chevalier des Palmes Académiques que je suis, s’est tourné vers le Commandeur, et surtout vers l’ami, que vous êtes Jacques, en lui demandant ce qu’il en pensait.
Et, avec la gentillesse qui vous caractérise, vous m’avez dit « Mais vous avez oublié quelque chose d’essentiel ! ». Et vous avez prononcé ces mots avec une certaine véhémence qui n’est pas dans votre caractère. Vous avez précisé que le premier ouvrage économique de René MAURY, c’est le « Manuel sur l’intégration européenne » et vous m’avez alors rappelé qu’il date, grosso modo, du traité de Rome.

Et je voudrais témoigner du fait qu’effectivement René MAURY, comme beaucoup d’hommes de sa génération  – il est né en 1928 – n’a pas peur de croire en une fédération européenne et même, au-delà, en une fédération économique. Il est vrai qu’il a le souvenir de la guerre, comme tous ceux de son époque, et, ayant passé un an à HARVARD, il a été ébloui par les Etats Unis d’Amérique. Et il rêve de cette fédération.
Et je me suis aperçu que, beaucoup plus tard dans sa vie, il était très content de la création de l’euro, qui est une manifestation éminemment fédérale, et, à vrai dire, nous avons passé toute une partie de nos vies à nous disputer, parce que moi je suis un serviteur public – et je reviendrai dans un instant sur la détestation qu’il avait pour les hauts fonctionnaires – ; et, un jour, il m’a dit cette chose qui m’a totalement stupéfait : « Trichet, je le trouve vraiment bien ». Ce n’était pas du tout pour me faire plaisir, mais c’était « parce qu’il est toujours bien habillé, bien peigné et je trouve qu’il parle bien ». En réalité je pense que ce qu’il voulait me dire c’était que l’euro c’était le rêve fédéral qui l’a toujours habité et qui s’était manifesté concrètement.

En 1973, il publie « La société d’inflation », vous l’avez évoqué Jacques. Et en 1974 : «  Pour comprendre la crise ». A ce moment là, Alain SUTOUR est déjà à ses côtés et il a très bien compris que nous allons basculer dans 30 ans d’austérité mais nous ne les avons pas financés. Et il a très bien compris aussi que nous étions à l’achèvement d’un cycle de croissance très long et que plus rien ne serait comme avant.

Son ouvrage majeur c’est évidemment « L’État maquereau » en 1995 ; et il adorait MOLIÈRE. Et dans ce livre, il met en scène l’État comme dans une pièce de MOLIÈRE, puisqu’il écrit : « Chacun veut vivre aux dépens de l’État, en oubliant que c’est l’État qui vit aux dépens de tous ». Vous pouvez croire que c’est de René MAURY… Eh bien non, c’est de Frédéric BASTIAT ! Mais ils sont très proches.

J’ai envie de dire que René MAURY est un économiste de l’École Libérale, mais grâce à Jacques GUIN nous savons que c’est un peu plus compliqué que cela. L’État maquereau est une image extrêmement osée. Il adore les images, parce que les individus abstraits, désincarnés, la théorisation ne l’intéressent pas. Le proxénète protège la prostituée. Sauf que cette protection est forcée. La prostituée n’a pas le choix. Et il vit de cette protection forcée.

Dans le fond, et Alain SUTOUR l’a très bien expliqué par son témoignage personnel, René MAURY croit dans une société libérale idéale. Les individus sont poussés par la force de l’amour, par la recherche légitime de leurs intérêts économiques, mais cela ressemble beaucoup au besoin de reconnaissance, qui lui-même s’apparente au besoin d’amour, et on retrouve un peu la philosophie luthérienne.
Et, dans le fond, les talents doivent s’épanouir librement, les leaders sont ceux qui permettent ce libre épanouissement des talents – et de ce point de vue le témoignage d’Alain SUTOUR m’a vraiment bouleversé car j’ai reconnu mon père, tel que je l’ai connu jeune – et tout cela est harmonieux, tout cela crée un climat de confiance, une réussite. Et si ça ne marche pas, c’est qu’il y a un problème et il faut un médiateur qui est, évidemment, l’État.
Le problème c’est que, plus l’État intervient, hors les fonctions régaliennes dont mon père pensait qu’elles ne fonctionnaient pas bien… plus il intervient donc, plus c’est le signe que quelque chose ne va pas. Et, comme vous l’avez montré, plus l’État intervient, plus les choses se dérèglent.
Il adore jouer et pousser les choses en montrant que l’intervention de l’État aboutit à l’absurde. Il prend l’exemple de la SEITA : pourquoi l’État prononce-t il un monopole des tabacs ? Parce qu’il en vit. Et en même temps, il fait un prélèvement sur le tabac pour financer les campagnes anti-tabac !

Henri VALLAT a tout dit, dans le sens où René MAURY est tourné vers l’action, il admire trop NAPOLÉON et la doctrine fiscale finalement, c’est cela qu’il faut retenir ; ce sont ses préconisations expliquées dans « J’accuse l’impôt sur le revenu. Supprimons-le » qui paraît en 1996.
Je voudrais attirer l’attention des citoyens que vous êtes sur une seule question : a-t il eu tort ou raison ?
Pendant longtemps j’ai cru qu’il avait tort et je me suis souvent disputé avec lui, parce que je trouvais qu’il exagérait. Et puis je me destinais à une carrière de haut fonctionnaire et c’était donc logique.
Aujourd’hui, je crois qu’il avait raison. Non pas parce qu’il est décédé et que comme disait GUITRY, « mon père avait raison » ; ni parce qu’aujourd’hui nous lui rendons hommage, mais parce que les chiffres, la situation économique de notre pays montrent qu’il avait raison.
Et j’aimerais conclure avec quelques chiffres que je vais partager avec vous à la veille d’une échéance électorale.
Quand il écrit « Pour comprendre la crise » en 1974, le niveau des prélèvements est à peu près le même en France, 36%, et en Allemagne, 34%.
Vous vous souvenez que Valéry GISCARD d’ESTAING, élu, dit : « Au-delà de 40%, c’est le socialisme » ! Aujourd’hui nous sommes à 57% de dépenses publiques.
La Francebat le record mondial des prélèvements. Il n’y a qu’un petit pays devant elle : la Finlande.
Ce surplus de prélèvements représente 200 Milliards d’Euros de plus que l’ Allemagne ; et, si on ramène ces prélèvements au nombre de citoyens, on s’aperçoit que l’écart n’est pas si grand. Il est très grand par rapport au PIB tout simplement parce que la croissance française s’est alignée sur la croissance allemande.
Donc nous sommes bien dans ce mécanisme du « maquereau » qui, en prélevant, affaiblit l’économie. Comme l’économie s’affaiblit, les déficits se creusent et comme ils se creusent – Dieu merci nous sommes tenus par les règles européennes – on accroît encore les prélèvements, mais l’économie s’affaiblit encore plus…
Et je crois profondément qu’il avait vu venir cette évolution, qui, aujourd’hui a atteint un degré paroxystique.

Un dernier chiffre : savez-vous que nous avons aujourd’hui 16.8 millions d’emplois dans le secteur marchand non agricole ? Combien en avions-nous en 2000 ? Exactement le même chiffre, ce qui veut dire que depuis 16 ans la France n’a pas créé un seul emploi dans le secteur marchand non agricole. Il y a bien eu des créations, mais aussi des destructions et le solde est nul.
En revanche, depuis 2000 la population de notre pays s’est accrue de 5 millions de personnes. Où est passée la différence ? Ce sont des chômeurs, des retraités et, je le dis sans aucune connotation péjorative, ce sont aussi des fonctionnaires territoriaux.
Donc en fait nous voyons que c’est insoutenable car la charge qui pèse sur les épaules des actifs est devenue trop pesante.
Donc prélèvements et anémie de la croissance. La France est le pays de l’OCDE qui a perdu le plus de parts de marché depuis la fin des années 90.

Et je voudrais conclure par une citation dont vous reconnaîtrez sûrement l’auteur : « L’État pourrait-il résoudre le problème ? Non, parce qu’il EST le problème ! ». Je crois que René MAURY aurait parfaitement adhéré à cette citation de Ronald REAGAN.

Je vais rendre la parole, car il faut respecter le temps de chacun mais je sens que mon propos, à l’aune de celui de Jacques GUIN, a été un peu caricatural. Jacques a cité LACORDAIRE. Il a remarqué que cette citation était constante dans l’oeuvre de René MAURY, il a parlé de l’amour et je crois que rien ne serait plus faux que d’en faire une caricature de libéralisme. De ce point de vue-là, l’intervention d’Alain SUTOUR m’a vraiment enthousiasmé, parce que dans son oeuvre, l’épanouissement des talents, des personnes, et l’amour qui y conduit, d’une certaine manière, est inséparable de la conviction libérale.

Merci.