Hommage au Professeur René MAURY – 1928 – 2014
Chers amis , mesdames messieurs ,
Ma rencontre avec René Maury remonte à une cinquantaine d’années déjà ;dans ces merveilleuses années 60 qui allaient enchanter les jeunes étudiants des 30 glorieuses qu’allait connaitre notre pays.
Je dois vous avouer que ma rencontre avec René Maury fut décisive ; c’est peu dire qu’elle a orienté toute ma vie professionnelle. Monsieur le Maire, merci, Madame BOHÉ, merci pour vos présentations et je vous prie de veiller à rajouter quelques minutes à mon temps de parole pour que je puisse exprimer ces remerciements.
Mes remerciements s’adressent ensuite aux organisateurs de cette manifestation, mes amis Gérard Martinez, Jacques Guin et à Marie-Hélène bien sûr.
C’est pourquoi je puis dire que si je dois à mon père de m’avoir, avec la vie, donné le goût du travail et le sens du devoir, je dois sans conteste à René Maury de m’avoir donné le bagage indispensable pour réussir ma vie professionnelle.
Je l’ai connu d’abord comme jeune étudiant en Sciences Economique ,ensuite comme assistant à l’IPA, et enfin, et ce n’est pas le moindre, comme compagnon de pèche à la truite dans la Dourbie, du coté de Nant,où il eut la gentillesse de m’inviter quelques fois.
C’est pourquoi le coup de téléphone par lequel Francine BOHE m’a proposé d’intervenir dans cette réunion pour y dire quel Manager il était, m’a réellement flatté, tant ces quelques années où je l’ai côtoyé m’ont profondément marqué.
Vous le savez bien, se retourner sur son passé pour y puiser des souvenirs est un exercice philosophique qui n’est jamais sans risque. mais comme l’écrivait Epicure à Menecee ¨Il est bon de philosopher à tout âge, quand on est jeune on y acquiert un peu de sagesse, et quand on est vieux pour rajeunir au contact du bien et se remémorer les bons moments du passé¨.
C’est en souvenir des bons moments passés à ses côtés, Marie Hélène, que j’ai répondu présent à ta sollicitation de venir dire ici quel manager était René Maury.
En me replongeant pour ce faire, dans ces années pas si lointaines passées à la direction d’entreprises je vois trois qualités majeures indispensables pour conduire les hommes,
– le charisme d’abord, qui séduit les cœurs et l’intelligence pour les capter ;
– la capacité ensuite à imaginer et bâtir un projet mobilisateur fort pour susciter l’enthousiasme ;
– enfin les qualités humaines indispensable pour établir des liens personnels de confiance forts, en donnant le sentiment à chacun d’être unique dans la relation.
Pour le reste, il y a des comptable, des commerciaux, des gestionnaires, certes bien nécessaires ; mais rien ni personne ne remplace le leader charismatique qui incarne le projet d’entreprise et sait par ses qualités personnelles, rassembler et conduire ceux qui l’aideront à le mener à bien.
Assurément René Maury avait été largement pourvu par la nature de ces éminentes qualités qui ajoutées à une intelligence exceptionnelle et à une mémoire prodigieuse faisaient de lui, personne n’en doute, un homme d’exception.
Son charisme d’abord.
Une anecdote suffira pour en témoigner. Je me souviens encore de mon premier cours magistral. Un cours de droit constitutionnel donné par un éminent agrégé qui venait d’être battu à une élection locale où il avait imprudemment brigué un mandat.
L’amphi était déchainé, des avions en papier traversaient la salle sous les hurlements d’étudiants hystériques ; quelques énergumènes particulièrement créatifs promenaient sous les yeux du pauvre homme une veste humiliante emmanchée au bout d’un balai ! Un vrai désastre !
Le cours d’économie politique de René Maury succédait à ce vacarme. Il rentra lentement dans une salle encore tumultueuse, s’installa debout, silencieux, derrière son fauteuil, balayant l’amphi d’un regard sévère. La tempête s’apaisa ; la mer déchainée laissa place progressivement à d’inoffensifs clapotis. René Maury s’assit alors dans un ample mouvement de toge et commença son cours. Sa voix chaude, ensoleillée enchainait des phrases simples mais denses, des expressions imagées qui retiennent l’attention, des anecdotes aussi, et parfois même quelques provocations.
L’auditoire tombé sous le charme buvait ses paroles, riait à l’unisson à ses traits d’esprit, tous les regards convergeant vers celui qui du haut de sa chaire avait dompté cette foule sauvage qui un instant auparavant dévorait son prédécesseur !
Oui, assurément René Maury été doté d’un charisme exceptionnel.
Son projet d’Entreprise ensuite, mobilisait ses collaborateurs.
Le charisme ne suffit pas pour entrainer les hommes, vous ne l’ignorez pas, ils veulent, savoir où on les amène. Les meilleurs, ceux qui gagnent les batailles, s’engagent d’autant plus derrière leur chef qu’ils adhèrent à un projet fort et enthousiasmant. Le salaire certes compte, mais la gloire, l’honneur de faire partie d’une aventure exceptionnelle, c’est autre chose !
Et bien René Maury avec compris plus tôt que les autres que, dans ces années 60, tous les étudiants diplômés de l’Université ne pourraient pas devenir avocat, enseignant, chercheur ou fonctionnaire. Il savait que les entreprises privées des trente glorieuses étaient avides de nouveaux collaborateurs bien formés pour nourrir leur forte croissance et que les diplômes généralistes devaient être complétés pour préparer les futurs cadres à leurs responsabilités par des matières plus pratiques : marketing, merchandising, ressources humaines, informatique etc. Ces disciplines nouvelles venues des USA où René Maury avait séjourné étaient encore peu présentes dans les Universités.
Donner aux étudiants en droit, en lettres, en sciences, les connaissances nécessaires pour intégrer avec succès le marché du travail, voilà quel était le grand projet de René Maury à travers l’IPA !
Pour de jeunes enseignants friands de nouveauté, comme nous l’étions dans cette effervescence intellectuelle d’alors, quel projet enthousiasmant !
Je me souviens des longues discussions dans son bureau où il évoquait avec passion les attentes des nouveaux étudiants, leur soif de s’engager dans un monde du travail alors très ouvert permettant à eux qui n’étaient pas bien nés, de plus en plus nombreux, à entreprendre des études supérieures, de se faire, comme les autres, une place au soleil par leur talent et leur travail.
Oui, assurément René Maury avait su avant tout le monde bâtir avec l’IPA un projet ambitieux répondant à ces attentes.
Son empathie enfin, lui attachait les cœurs.
Un charisme affirmé et un projet d’entreprise enthousiasmant ne suffisent cependant pas toujours pour maintenir en mouvement l’équipe dans la durée.
C’est que le chemin vers la réussite est long et semé de désillusions, d’erreurs, d’entraves de toutes sortes : la bureaucratie, la routine, l’impatience, la lassitude peuvent venir à bout des plus motivés. C’est alors au manager de rassurer, réenchanter les collaborateurs fatigués ou qui doutent.
Dans ces moments délicats, tout se joue sur la qualité de la relation que le patron a créé avec son collaborateur : est-elle superficielle ou lointaine et le sémillant pursang se transforme en baudet rétif qui freine des quatre fers. Est-elle profonde sincère et vraie, elle permet au manager d’apporter dans la confiance l’appui mental qui relance la motivation ?
René Maury excellait dans cette capacité à personnaliser la relation pour créer des liens forts faits de confiance, affection, et d’estime, liens grâce auxquels sans rien demander on peut tout obtenir de collaborateurs.
Je me souviens lui avoir fait part, fort de la confiance que je lui témoignais, de mes impatiences et espoirs ; je me souviens de ses analyses pointues, de ses éclaircissements lumineux, de ses encouragements chaleureux, autant de remise en confiance pour repartir de l’avant.
La certitude de compter pour lui en tant que personne créait des liens bien utiles dans ces moments là.
Oui, assurément René Maury aimait ses collaborateurs et savait se les attacher.
René Maury fut donc un grand manager pour ses équipes qui l’adoraient.
Mais s’il n’avait été que cela, nous ne serions probablement pas là pour évoquer son souvenir.
Des bons, très bons managers, il en existe fort heureusement de nombreux. Qui ferait tourner nos boutiques sans eux ? Si René Maury était exceptionnel c’est que, comme les grands créateurs d’entreprise qu’il admirait, tant il était doté d’une faculté rare qui donnait à sa personne une dimension le plaçant au dessus de tous les autres, c’était un Innovateur qui savait sortir des cadres établis ; un disrupteur dirait on aujourd’hui.
Son imagination, sa liberté de penser, son autonomie par rapport à l’institution, donnait à son intelligence exceptionnelle une capacité à aller à contrecourant pour innover, créer, peu habituelle.
Car c’est peu dire que René Maury n’était pas conservateur. Sa pensée et plus encore ses actions faisaient fi des conventions et des routines quand il s’agissait d’imaginer des solutions, des enseignements encore plus adaptés à la réussite de ses étudiants.
C’est ainsi qu’il avait amené la dynamique de groupe au sein de l’IPA dans le but d’apprendre à ses chers étudiant comment lire et décoder les rapports interpersonnels et, ce faisant, leur faire gagner dix ans, disait-il. Et de conquérir dès l’IPA, cette lucidité sociale que d’ordinaire, on n’acquiert qu’à la quarantaine.
Cette rupture avec l’enseignement traditionnel ajouté à l’embauche d’intervenants issus du monde de l’entreprise, lui attiraient parfois quelques inimitiés. Les conservatismes sont toujours prêts à ouvrir des procès en sorcellerie pour y bruler les idées nouvelles qui dérangent leur hibernation !
Mais il n’en avait cure.
Oui, assurément, bien plus qu’un manager, René Maury avait l’étoffe d’un grand patron.
Pour finir, Marie Hélène, je voudrais évoquer, ce que disait à ses amis un ancien Président de la République un peu avant de disparaitre ¨Je crois aux forces de l’esprit, je ne vous quitterai pas !
Oui, j’en suis sûr, il est des êtres, et René Maury était de ceux-là, dont la personnalité exceptionnelle marque à tout jamais l’esprit et le cœur de ceux qui les ont aimés.
Alors, bien longtemps après leur disparition, leur mémoire vit toujours au fond de leur cœur, comme la trace indélébile laissée par leur amitié passée.
N’est-ce pas, Marie Hélène, chers amis, pour cette raison que nous sommes tous réunis ici en son honneur ?